Vous avez dit arrogance ?

Au sommet de la francophonie à Hanoi, le Président de la République française a donné une leçon apparemment pertinente aux défenseurs des droits de l’homme : “on ne gagne pas par arrogance, mais par la capacité d’expliquer et de convaincre”, ajoutant : “cette capacité, moi je l’ai”. Belle formule, s’il en fut, si le lieu et les circonstances dans lesquelles elle a été prononcée ne lui donnaient un sens si dérisoire et si ... arrogant !

On se demande quand le Président Chirac a eu l’opportunité d’ exercer son admirable capacité d’explication et de persuasion en matière des droits de l’homme s’il s’interdit officiellement d’aborder le sujet avec les pouvoirs concernés, puisqu’à ses yeux, ce qui convient parfaitement aux dirigeants de Hanoi, évoquer le sujet est déjà faire preuve d’arrogance. Et si l’on admet son point de vue, comment faut-il alors qualifier la prétention de Hanoi d’empêcher toute expression en ce domaine non seulement aux ressortissants vietnamiens mais aussi aux media étrangers, prétention que le chef de l’Etat français, loin de condamner, a même soutenue dans l’affaire Poivre d’Arvor ?

Par contre, dans la désignation de M. Boutros Boutros-Ghali comme Secrétaire général de la francophonie, le Président français a effectivement démontré sa pleine capacité de convaincre. Mais peut-on encore appeler explication et persuasion l’imposition d’une volonté envers et contre une bonne partie des participants au Sommet, représentants des pays, certes pauvres, mais totalisant les trois quarts de la population francophone mondiale? Le mépris de leurs desiderata et arguments qu’il est exagéré de taxer, à l’instar de M. Kabila, de néo-colonianisme, a tout au moins des rapports avec la morgue du bailleur de fonds.

Au sommet de la francophonie, le chef de l’Etat a été réellement efficace, comme a été son souhait. Mais pas de la façon qu’il a laissé entendre. A la fois convaincu (par Hanoi) et convainquant (avec ses homologues africains), il n’a pas eu besoin de beaucoup expliquer puisque, compte tenu des faits, et contrairement à ses dires, c’est plutôt l’arrogance qui a payé, du côté de Hanoi ou celui de Paris.

L’arrogance gagne toujours quand lui fait face non pas une ferme conviction ou une détermination polie mais une faiblesse réelle ou calculée. Cependant, les victoires qu’elle remporte sont éphémères, lourdes des échecs à venir, causés par la rancœur et le sursaut des humiliés. Se baser sur elle ou se laisser intimider par elle, indisposer ses amis mais éviter de fâcher ceux qui vous défient, au nom des intérêts à court terme, c’est choisir une diplomatie de courte vue.

Si la France veut faire de la francophonie “une entreprise résolument politique” respectée et durable, malgré son manque de poids économique, elle n’a pas d’autre voie que s’appuyer sur les valeurs éthiques et culturelles dont elle porte le flambeau. Or, au lieu de se faire le champion des valeurs universelles, le Président français relativise leur portée en plaidant pour une démocratie sous laquelle, “chacun peut légitimement se réclamer de telle ou telle tradition politique, de telle ou telle pratique sociale”, conception que, sous la bannière de la Chine, les dictatures du monde entier essaient de faire accréditer depuis une décennie, pour mieux conforter leur oppression.

La France des droits de l’homme, finira-t-elle par n’être plus qu’un mythe, à force d’être bafouée par une politique de faux prestige ?

Paris, 26/11/1997

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