Viêt kiêu et duplicité communiste

Depuis la fin des années 80, avec la politique d’ouverture de Hanoi, l’expression “Viêt kiêu” lancée par les communistes pour désigner les Vietnamiens résidant hors du Vietnam et les différencier des ressortissants Vietnamiens domiciliés dans le pays connaît une vogue grandissante pour entrer désormais dans le langage courant. Bien que nulle part n’est fournie une définition juridique du terme, il est entendu dans les textes officiels comme dans l’usage ordinaire que les Viêt kiêu sont des nationaux étrangers d’origine vietnamienne,les Vietnamiens réfugiés à l’étranger mais pas encore naturalisés citoyens de leur pays d’accueil, quoique assimilés aux premiers dans l’esprit populaire, étant tactiquement ignorés par le régime. La notion de citoyenneté d’un autre pays est fondamentale à la qualité du Viêt kiêu puisque n’en font pas partie une minorité de Vietnamiens vivant aussi à l’étranger mais avec un passeport vietnamien.

Avant 1975, on ne faisait guère de distinction entre Vietnamiens du pays et Vietnamiens de l’extérieur lesquels étaient d’ailleurs en nombre infime; pour les autorités, du Sud Vietnam en tout cas, on était soit vietnamien soit étranger selon sa nationalité, où que l’on habite, et pour le commun des mortels, quels que soient ses papiers, tout Vietnamien reste Vietnamien, sauf s’il tient expressément à être considéré autrement. Pourtant le terme Viêt kiêu n’est pas un néologisme, seulement il était réservé à un usage tout autre : Viêt kiêu désignait le citoyen vietnamien (c’est d’ailleurs le sens étymologique du terme) vu du côté du pays étranger où il habite : il est” Viêt kiêu” pour ce pays étranger mais Vietnamien ou “dân Viêt” pour le Vietnam.

Le détournement du sens de Viêt kiêu par les communistes fait prendre au terme une rotation à 180 degrés, passant du citoyen vietnamien étranger dans le pays qui l’accueille au Vietnamien citoyen étranger pour son pays d’origine. Dans la stratégie communiste du langage, ce genre de contresens relève du parti-pris, permettant au régime de jouer sur les mots et de justifier opportunément ses volte-face.

Engagé dans une phase de rénovation économique qui lui permet de se maintenir au pouvoir, le régime communiste de Hanoi ne peut se permettre de rejeter les deux millions de Vietnamiens de l’étranger dont le poids politique et financier se fait sentir, malgré qu’ils soient quasiment tous partis pour le fuir. Dans l’espoir de drainer à son profit leurs économies et leur influence, depuis plusieurs années, Hanoi multiplie les appels à la réconciliation nationale, promettant aux Viêt kiêu désireux de revenir visiter le pays et même de se réinstaller au Vietnam le meilleur accueil.

Bien lui a pris car, trop contents de pouvoir renouer contact avec famille et pays natal, les anciens réfugiés, se croyant protégés par leur statut d’étranger, ont volontiers prêté foi à ces déclarations de bonne volonté pour revenir en masse passer leurs vacances au Vietnam et parfois y investir, faisant rentrer annuellement dans le pays des centaines de millions de dollars de devises. Le Parti n’ignore pas que sentimentalement tous ces Viêt kiêu lui sont hostiles, tout au mieux critiques, mais il connaît aussi la pusillanimité de ces naïfs volontaires qui se disent apolitiques pour justifier leur retour.

D’ailleurs ses armes sont bien affûtées pour ceux d’entre eux qui le gênent, pas au point de vue politique car il n’a rien à craindre d’eux, mais dans ses magouilles financières. Gare aux Viêt kiêu qui refusent de payer les pots de vin réclamés en toute occasion ou s’insurgent contre les extorsions illégales ! Dans les filets des membres du Parti, ils n’ont aucun recours. Leur passeport étranger ne leur est d’aucun secours. Ne sont-ils pas pour la police politique des opposants avérés puisqu’ issus de la diaspora anti-communiste ? Les ambassades étrangères protestent-elles ? On leur répond que les Viêt kiêu échappent à leur ressort puisque, comme leur nom l’indique, ce sont des citoyens vietnamiens, leur nationalité étrangère n’étant pas reconnue en territoire vietnamien.

C’est ce prétexte que les autorités vietnamiennes, à bout d’arguments, ont invoqué récemment pour retenir dans leurs griffes M. Ðang-Vu Chính face aux interventions de l’ambassade de Belgique. Espérons que les Belges ne se laisseront pas intimider par ce mépris du droit et des conventions internationales. La duplicité fait partie intégrante des pratiques communistes, mais en acceptant de se laisser désigner sans réagir par le terme ambigu de Viêt kiêu, les Vietnamiens de l’étranger se font piéger eux-mêmes dans le jeu du chat et de la souris où il font office de petites bêtes manipulées par le régime.

3/5/1997

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