Traitement chinois

Après avoir été abreuvés de déclarations vertueuses sur la nécessaire intervention en Yougoslavie au nom des droits de l'homme, qu'apprenons-nous ces jours-ci ? Que ces mêmes Occidentaux qui s'indignent des exactions des nationalistes Serbes au point de soumettre leur pays à des bombardements intensifs pendant plus de deux mois, n'ont pas hésité le 24/6 à voter à la Chine un prêt, via la Banque mondiale, de 160 millions de dollars dont 40 millions seront utilisés à financer l'implantation des fermiers Chinois au ... Tibet. Eh oui! Ce n'est pas un canular : les créanciers de la planète veulent donner un coup de main à la Chine dans sa colonisation du Tibet. L'épuration ethnique de Milosevic est vouée aux gémonies, mais l'occupation et l'extermination culturelle et physique d'un peuple par sinisation forcée sont tacitement acceptées et maintenant encouragées !

Devant les protestations des organisations pro-tibétaines, les administrateurs de la Banque ont dû geler le prêt. Ce qui ne signifie pas son annulation ou sa révision. Même si ce sera le cas, l'affaire montre suffisamment l'hypocrisie et le cynisme des responsables mondiaux dont les principes se modifient au gré de la puissance de l'interlocuteur et des profits escomptés. Pas étonnant que face à une telle absence de morale et de dignité, les dirigeants chinois ne sentent intouchables et renforcés dans leur morgue et leur intolérance à toute critique.

C'est ainsi que Pékin prétend opposer son veto à la nomination de Chris Patten, l'ancien gouverneur de Hong Kong, au poste de commissaire européen chargé du commerce. Cette immixtion dans une affaire strictement européenne ne gêne guère le pouvoir chinois qui ne manque pourtant jamais de s'élever contre "l'ingérence dans les affaires intérieures de la Chine" chaque fois que ses abus sont dénoncés. L'Union européenne se laissera-t-elle intimider par les menaces de représailles économiques chinoises ? Parions que bien de membres dans son sein aimeraient se saisir du prétexte de ces représailles pour pousser au rejet d'un candidat encombrant, pourfendeur de "l'incohérence", du comportement "grotesque et dégradant" des hommes politiques occidentaux face à Pékin.

En soutenant et flattant le pouvoir communiste chinois, mainteneur selon le Secrétaire d'Etat américain d'un "îlot de stabilité" en Asie, les décideurs mondiaux croient œuvrer pour la paix autant que pour leurs intérêts. En fait, ils contribuent à les miner, car le régime, conforté dans son refus de se réformer, laisse grandir les contradictions inhérentes à l'existence d'une économie de marché à l'intérieur d'un système dirigiste policier avec les risques d'une explosion sociale aux effets désastreux. Loin d'écarter le mythique péril jaune que réactive le spectre redouté "d'un éclatement de la Chine qui enverrait des vagues d'immigrants dans le monde entier" (Chris Patten dixit), ils le rendent plus probable.

Pour échapper à la nécessité d'une réforme en profondeur, les dirigeants chinois n'ont d'autre solution qu'une fuite en avant dans des rêves de grandeur menaçants pour la paix régionale. Les voisins de la Chine observent avec inquiétude le développement de son potentiel militaire. Le Vietnam en fait déjà les frais avec le grignotement de ses frontières du Nord et l'occupation armée de ses îles. Ajoutez à cela des pratiques commerciales agressives, aidées par une mafia chinoise tentaculaire, lesquelles, par le dumping des prix et le forcing des politiciens locaux, ruinent les entreprises des petits pays environnants, et vous constatez plus de signes d'instabilité que la stabilité vantée.

Montrer de la faiblesse devant le pouvoir communiste chinois, c'est non seulement se déconsidérer aux yeux de l'opinion internationale, mais aussi et surtout faire un mauvais calcul. Par égoïsme ou par philanthropie, tous les décideurs gagnent à rester fermes dans leurs rapports avec la Chine et à y susciter l'instauration d'une véritable démocratie, seule garante de la paix comme des contrats bénéficiaires aux deux parties. Malgré l'optimisme affiché dans les milieux officiels, la situation en Chine se dégrade de jour en jour, et il est à craindre qu'à force de tergiversations et de coupable neutralité, les Occidentaux ne soient obligés d'en payer très cher les conséquences, beaucoup plus que le prix déboursé pour le Kosovo.

Paris, 1/7/1999

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