Le 20ème siècle qui commença dans l'euphorie en Europe par la Belle époque s'est avéré particulièrement désastreux avec deux guerres mondiales et de multiples guerres régionales aussi barbares que sanglantes, et les acquis de sa civilisation s'obscurcissent devant les dizaines et dizaines de millions de cadavres qui jonchent son parcours pour la plus grande gloire d'autocrates monstrueux. La science triomphante qui devait délivrer les peuples de l'ignorance et par suite de l'injustice a certes amélioré la condition de bon nombre d'exploités, mais elle s'est aussi retournée contre eux en donnant à leurs bourreaux de fantastiques moyens d'oppression. Alliée aux riches et puissants, dans la main d'apprentis sorciers inconscients, elle contribue à saccager la planète, provoquant pour le nouveau siècle des dangers inédits. C'est ainsi que nous entrons dans le troisième millénaire potentiellement infectés de prions et virus particulièrement redoutables sur fonds d'OGM, de vache folle et de poisson dioxiné, sans compter les multiples aspects de l'effet de serre.

En suscitant un orgueil à la mesure de la confiance dans ses prouesses, la science a servi d'alibi à la concrétisation au 20ème siècle de dangereuses utopies armées d'idéologies pseudo-scientifiques (le communisme se prétend socialisme scientifique, quant au nazisme, c'est d'abord un socialisme non moins rationnel) dont les partisans se disent progressistes. S'auto-proclamant champions du progrès et de l'humanité en marche, et donc automatiquement justes ou généreux, ces derniers mettent naturellement tous leurs opposants dans le camp des ennemis de classe ou de race à éliminer sans pitié. Le nazisme a vécu avec la défaite de l'Allemagne hitlérienne, le marxisme-léninisme stalinien agonise depuis la chute de l'URSS, mais leurs principes idéologiques perdurent dans le socialisme qui a toujours pignon sur rue et continue de rejeter ses contradicteurs du côté des conservateurs arriérés, stupides et méchants tout en s'appropriant sans vergogne leurs idées et succès. Après feu le socialisme démocratique que renie toute démocratie, nous assistons actuellement à l'essor du socialisme mercantile qui ne garde des deux doctrines (socialisme et mercantilisme) que les concepts les plus captieux.

De tristes événements du 20ème siècle ont fini par faire comprendre à l'humanité que la science suscite autant, sinon plus, de problèmes qu'elle en résout. Cette nouvelle méfiance envers la science, au lieu d'aboutir à plus de sagesse et de prudence dans l'utilisation des découvertes, pousse les uns vers la fuite en avant, les autres, qui sont aussi les parents pauvres de la civilisation technique, vers un fondamentalisme sauvage. Comme des paralytiques incapables de marcher sans béquilles, déçus dans la confiance en une divinité, en l'occurrence la science et ses dérivés idéologiques, les hommes se jettent aussitôt dans les bras d'une autre (providence, dieux anciens et modernes ...), quitte à se faire manipuler par d'infâmes gourous sans scrupules. Le 21ème siècle ne sera pas plus religieux que le 20ème, ses dieux ne seront simplement pas tout à fait les mêmes.

Heureusement, la raison, tenace en chacun de nous, parvient malgré tout à se faire entendre. D'ailleurs, de tout temps, légion sont ceux qui, même au plus fort de la tourmente, se laissent difficilement séduire par les chimères et savent résister aux pressions matérielles et morales des pouvoirs dominants. Le 20ème siècle peut mourir et le 21ème s'annoncer menaçant. Requiesce saeculum, salve saeculum! Tous les hommes et les femmes de bonne volonté rendent hommage aux victimes et héros de l'ancien siècle et abordent de pied ferme le nouveau, prêts à maintenir pour le transmettre le flambeau de la liberté de l'esprit.

29/12/2000