Quand Bruxelles récidive dans l'agit-prop

Pourquoi, dès qu'il s'agit des rapports avec le pouvoir de Hanoï, les autorités occidentales, perdent-elles tout sens de la mesure pour abonder avec le parti communiste vietnamien dans son auto-glorification? L'actuelle exposition à Bruxelles sur "l'art et la culture du Vietnam de la préhistoire à nos jours", organisée par les Musées Royaux d'Art et d'Histoire de Bruxelles (MRAH) et le Museum für Volkerkunde de Vienne (MfV), après celle, scandaleuse, sur "le Vietnam au 20e siècle" en 1998, toujours à Bruxelles, en fournit de nouveau la triste preuve.

Imaginez une rétrospective de 2000 ans d'art et de culture français où la grandeur de la révolution de 1789 occuperait le quart de la surface disponible, et vous comprenez la consternation des visiteurs devant toute une salle, plus petite certes, consacrée à Hô Chí Minh et aux deux grandes victoires de l'armée populaire dans sa guerre de conquête du pays, à côté de la grande (et unique) salle destinée aux 3000 ans d'histoire du Vietnam. Cette criante disproportion - pour plaire à Hanoï, une vitrine pour le 20e siècle où le parti aurait sa place suffirait amplement - est d'autant plus notable que l'apologie de la guerre révolutionnaire se substitue à un récapitulatif exhaustif de la géographie historique et de l'art vietnamiens, indispensable pour suivre l'évolution des pièces exposées et mieux les apprécier.

A vrai dire, à cause de la rareté relative des objets archéologiques et artistiques du Vietnam d'avant le 19è siècle, due à des guerres incessantes et à une tradition de jalousie destructrice, et le Parti glorifié en partage la responsabilité en causant la démolition d'une partie des temples et vestiges historiques, jusqu'alors épargnés, lors de ses campagnes de pureté idéologique au nord et au centre du pays, toute exposition historique intégrale d'art vietnamien prend le risque d'un traitement inégal des diverses périodes. Et celle en question ici n'y échappe pas, puisque les deux derniers siècles sont super-privilégiés par rapport aux vingt-huit antérieurs. Mais cette disparité des pièces est compréhensible, vu la difficulté technique de l'entreprise, alors qu'aucune raison valable ne justifie la montée en épingle du parti communiste vietnamien.

Dans les beaux jours de l'orthodoxie marxiste, nulle manifestation culturelle ne pouvait exister au Vietnam sans un acte d'allégeance ou de dédouanement des auteurs et acteurs par le biais des louanges au parti et à l'oncle Hô. Mais cette pratique courtisane, de moins en moins supportée au Vietnam même, comment les responsables des musées belges et autrichiens concernés peuvent-ils décemment s'y prêter, et en Europe même ? Que l'on sache, les commissaires des expositions actuelles à Paris sur l'art et l'histoire chinois n'ont pas besoin de dédier par prudence diplomatique une section spéciale à la célébration du pouvoir de Pékin, pourquoi leurs collègues belges et autrichiens se sentent-ils obligés de flatter Hanoï ?

Il est indéniable cependant que beaucoup de pièces prêtées par les musées vietnamiens, présentées pour la première fois hors du pays, méritent le détour par Bruxelles pour leur beauté unique, telles une tête de divinité champa au sourire légèrement narquois (10è s.),une superbe porte de bois ciselé Ly (13è s.), une cloche de bronze Trân à l'anneau formé de deux fins dragons (13-14è s.), un lampadaire Mac empreint d'élégance (16è), etc. .. Dommage que les explications et notices ne soient pas plus soignées et vérifiées : c'est ainsi une contre-vérité que de déclarer à l'audiophone que le mandarin militaire est supérieur au mandarin civil, ou une autre d'identifier une dame portraiturée du nom de Minh Nhan, dont tous les dictionnaires et anthologies ignorent l'existence, comme une célèbre poétesse.

C'est déjà regrettable que des objets de si grande valeur soient mis en compétition avec des pièces ethnologiques banales que l'on a pu voir par ailleurs dans des expositions de grand magasin, mais dévaloriser l'événement qu'est leur première montre au public étranger par une propagande politique hors de mise est tout simplement indéfendable. Les établissements publics européens n'ont pas à utiliser l'argent du contribuable pour voler à la rescousse d'un parti en perte de légitimité, au moment où même de son sein s'élèvent des voix pour contester son rôle. L'exposition de Bruxelles jouit du patronage du roi et de la reine de Belgique. En donnant leur caution, les souverains belges savent-ils qu'ils ont participé malgré eux à une opération d'agit-prop ?

Novembre 2003

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