Perseverare diabolicum

Ce 18 novembre, répondant à l'évocation des droits de l'homme par Bill Clinton, le Secrétaire général du parti communiste vietnamien Lê Kha Phiêu y va de sa sempiternelle profession de foi dans le "socialisme qui se développe et continue à se développer au Vietnam" afin de fonder "une société communiste", dût-il s'y atteler encore un siècle et plus.

La persistance de l'ultime carré communiste (Chine, Vietnam, Corée du Nord, Cuba) à se draper des atours d'un socialisme chimérique contre les vents et marées du monde réel ferait simplement objet de risée générale si elle ne couvrait des crimes irrémissibles contre les peuples assujettis. L'ouverture de ces pays à l'économie de marché, depuis une quinzaine d'années pour les deux premiers, pour remplir leurs coffres-forts vidés à force de gestion calamiteuse et de destructions partisanes, a certes élevé le niveau de vie (la croissance est toujours spectaculaire quand on saute de zéro à plus) de leur population (surtout dans la minorité citadine) mais ce serait illusion de croire à leur libéralisation politique, même progressive.

Pour masquer leurs calculs bassement mercantiles, les gouvernements occidentaux n'ont cessé de prôner depuis deux décennies la normalisation des relations avec tous les régimes dictatoriaux et corrompus de la planète au nom de la propagation des idées libérales par le biais du commerce. Comme si l'appât du gain a jamais entraîné l'amour de la liberté à part celle de ma pomme au détriment des autres ! L'histoire abonde des exemples de prospérité commerciale au sein des régimes despotiques comme en Asie du temps des empereurs et sultans. A voir au début d' octobre dernier Londres, Berlin et Bruxelles s'empresser de se mettre à l'unisson de Washington pour coiffer au poteau Paris dans la reconnaissance de la Corée du Nord accusée encore deux mois plus tôt dans les media du monde entier d'être un pays totalement asservi par le plus brutal des régimes et dont les citoyens crèvent de faim au point de considérer la fuite vers une vie de pestiférés en Chine comme une délivrance, le plus cynique des observateurs devrait se sentir écœuré.

Pourtant rares sont les protestations de l'élite intellectuelle occidentale contre l'attitude incohérente, pour ne pas dire immorale, de leurs gouvernements. Nul étonnement en fait, quand on sait "d'où elle vient", selon son raisonnement favori dans les années 60-80. Pour cette élite encore acquise à "la gauche", les régimes socialistes restent tabous malgré la débandade de l'URSS, le hideux visage du socialisme réel ne pouvant jeter le discrédit sur le socialisme utopique. Loin de faire leur mea culpa pour avoir aidé et encouragé l'instauration de régimes totalitaires à parti unique sous lesquels elles-mêmes n'auraient jamais supporté de vivre, les belles âmes justifient leurs erreurs passées par une fougueuse générosité dont elles se font l'exclusivité (la sagacité non moins généreuse des autres ? du moralisme réactionnaire !) et continuent de réclamer de l'indulgence pour les crimes communistes.

C'est ainsi que par auto-aveuglement sinon un mode de pensée dévoyé, malgré le recul du temps, la sanglante guerre civile au Vietnam (1956 - 75) est toujours présentée, comme on peut le constater dans les media lors de la couverture du récent voyage de Bill Clinton dans ce pays, par les journalistes et historiens de gauche comme celle du petit Vietnam contre une puissante Amérique abusive. Certes, on ne prête qu'au riche et au vainqueur, mais occulter le rôle de la république du Sud Vietnam dont les Etats-Unis étaient des alliés tout autant que l'URSS et la Chine l'étaient pour le Nord Vietnam, c'est faire peu de cas de ses millions de combattants et citoyens dont la légitimité de la cause (perdue) ne peut plus être niée à la lumière des dévoilements ultérieurs.

Errare est humanum, et les socialo-communistes peuvent prétendre comme tout un chacun au droit à l'erreur. Le problème est qu'en se fourvoyant ils n'avaient pas engagé qu'eux-mêmes, mais ont entraîné des peuples entiers dans le malheur et la ruine. S'ils avaient seulement éprouvé quelque remords pour les crimes perpétrés au nom d'un mirage délétère dont ils s'étaient faits les champions, les mânes de leurs victimes pourraient s'apaiser et le mal refluer du monde. Mais le manque de perspicacité s'additionnant souvent du manque de curiosité et d'honnêteté intellectuelle, ils ont difficilement le courage de soumettre leurs idées et leurs actes à la critique. Ils préfèrent persister dans leur parti-pris et perseverare diabolicum…

23/11/2000

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