Liberté de presse

S'il est une mesure infaillible de la démocratie et de la qualité de la vie dans un pays, c'est bien la liberté réservée à la presse. C'est à elle que s'en prennent toujours en premier les apprentis dictateurs, et l'étendue de son muselage donne la mesure de la tyrannie exercée sur la population. Les media aux ordres, marque de fabrique de toute dictature, se distinguent par :
- une ligne politique unanime affichant un triomphalisme inaltérable,
- un ton optimiste, voire dithyrambique (ah! ces plants de tomate qui fructifient abondamment rien que par la vertu de la pensée du leader respecté et bien-aimé !),
- une place exagérée, quasi monopoliste, donnée aux faits et gestes des dirigeants,
avec pour corollaire :
- une absence de critique et une platitude consternante dans le traitement de l'information,
- un parti pris agressif à l'égard des marginaux, insoumis ou étrangers,
et comme instruments :
- des journalistes assujettis à un contrôle sévère, experts en auto-censure, tous ceux estimés indésirables étant pourchassés et réduits au silence.

Là où les caractéristiques citées se constatent, un régime tout affublé qu'il soit des qualificatifs démocratique et populaire s'avère au contraire à la fois anti-démocratique et anti-populaire. Pour un diagnostic rapide, il n'est même pas besoin de les observer tous, l'existence d'un seul critère suffit, chacun entraînant en quelque sorte les autres. Certes, il y a des degrés dans la censure comme dans la dictature, et Hanoï par exemple n'est pas Pyongyang (actuellement, cela s'entend, car dans les années 1955-85 la différence n'était guère flagrante), mais la nature du régime ne change pas et à la moindre occasion, il peut facilement autant relâcher que resserrer son emprise.

Cependant, depuis qu'il a jeté aux orties les uniformes tristounets pour adopter le costume-cravate et adopté l'économie de marché, l'opinion internationale a tendance à croire à un changement de nature du pouvoir communiste à Hanoï, Pékin ou Cuba : Voyez comme ces pays se modernisent, les habitants y paraissent enthousiastes et heureux, les étrangers y sont accueillis à bras ouvert, il est évident que leurs régimes sont en voie de démocratisation ! Tout à l'euphorie de la conquête de nouveaux marchés, les Occidentaux ne veulent en rester qu'à l'écume des choses, à la plus grande facilité pour eux de faire des affaires et au dynamisme apparent des autochtones. Surtout ne pas creuser sous la surface lisse des dirigeants plus accessibles et ouverts, de la population avide de promotion sociale et prête à en payer le prix, ne pas faire attention à la police omniprésente ! Aussi les autorités occidentales sont-elles toujours agacées quand les opposants leur rappellent les répressions continuelles, la mafiocratisation de la bureaucratie toujours tâtillonne et la pauvreté endémique de la majorité du peuple.

Pour que les chancelleries occidentales se réveillent, il faut que leurs propres ressortissants en viennent à se heurter à l'arbitraire bureaucratique. Ce qui est le cas récemment de deux journalistes, Sylviane Pasquier de L'Express et Tucker Carlson du Weekly Standard, dont l'arrestation par la police met momentanément sous les projecteurs le problème de la liberté de la presse et de la dictature au Vietnam. Tous les deux ont été incriminés pour exercice illégal de la profession, sous le prétexte qu'ils ne disposent que d'un visa de touriste et non d'un visa spécifique : ne peuvent exercer leur métier que des journalistes dûment accréditées comme tels par le pouvoir, ce qui permet de rejeter et de refouler tous ceux dont la curiosité et la tournure d'esprit peuvent devenir dangereuses. Il va sans dire qu'à part les journalistes, le pouvoir n'a rien à craindre des entrepreneurs et touristes étrangers qui se gardent bien de toute critique politique et se font même parfois propagandistes complaisants. Pour ce qui est des citoyens vietnamiens, nulle crainte d'une diffusion d'opinion dissidente : dans un pays où les journalistes se font rappeler (en mai 1999) qu'ils sont tenus de publier les points de vue des agences officielles même s'ils ne les partagent pas, la presse non officielle ou indépendante ne peut exister.

Réciproquement, toute démocratie nécessite une presse libre qui en est la garante, et le meillleur moyen de lutter pour son instauration ou sa sauvegarde, c'est encore et toujours réclamer et défendre la liberté de la presse partout où elle est violée.

30/4/2000

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