Levée de l'embargo américain

La levée de l'embargo américain contre le Vietnam réclamée à cor et à cri par les responsables occidentaux, de droite comme de gauche, maintenant qu'elle est proclamée par Washington, a au moins le mérite d'éclaircir la situation. Les dirigeants vietnamiens n'auront plus l'alibi de l'embargo pour expliquer les déboires de leur politique économique et sociale et ne pourront plus évoquer l'hostilité américaine ou étrangère pour justifier leur délire de persécution (contre leurs malheureux concitoyens). Quant aux divers gouvernements qui se vantent d'agir en faveur de la population vietnamienne par le biais de leur participation économique et rendent l'embargo responsable des lenteurs de la libéralisation du Vietnam, le grand obstacle au développement du pays étant désormais aplani, s'ils veulent maintenir une belle image d'eux-mêmes en Asie, il leur faudra bien tenir compte de la persistance des méthodes staliniennes au Vietnam et se décider à les dénoncer, même si en réalité ils s'en accommodent et se soucient peu de l'étouffement de la population du moment que les affaires marchent pour leurs entreprises.

Leader du monde occidental et porte-drapeau de la démocratie, mais aussi partie prenante de l'affaire, les Etats-Unis, plus que tout autre pays, se doivent de colorer leur politique d'un fort semblant de morale. Pour faire passer à l'opinion publique la pilule de la levée de l'embargo sous la pression du puissant lobby commercial, le gouvernement américain a du monter en épingle le dossier des MIA ; ce soufflé ne paraissant pas suffire, Bill Clinton a dû inclure dans sa décision "un dialogue sur les droits de l'homme avec le gouvernement vietnamien" comme si les arguments polis avaient jamais eu une prise quelconque sur le régime de Hanoi.

Pour le peuple vietnamien, la levée de l'embargo n'est qu'une formalité qui ne change pas grand-chose à la situation. Depuis 1986, date de l'ouverture du pays à l'économie de marché, rares sont les nations respectueuses de l'embargo. Les Etats-Unis eux-mêmes le violent allégrement quoique graduellement depuis 1991, et le FMI n'a pas attendu sa levée pour accorder des crédits au Vietnam (223 M USD en Octobre 1993). Sauf pour la minorité bourgeoise des nomenklaturistes et compradores de plus en plus arrogante et nantie, l'ouverture économique sauvage sans le garde-fou des débats libres et publics ne fait qu'accentuer la misère générale, misère d'autant plus insupportable qu'elle érode les forces vives de la nation, laissant les jeunes déboussolés par une éducation nationale en déroute.

Paradoxalement, bien qu'ils ne partagent pas le pari optimiste des experts occidentaux sur une libéralisation politique liée à l'élévation du niveau de vie grâce au développement économique, beaucoup de Vietnamiens espèrent aussi que ce dernier entraînera la chute du régime. Selon eux, le pouvoir communiste déjà usé et corrompu, se corrompra encore plus avec l'apport accru de la manne étrangère et tombera de lui-même à force de pourriture.

L'économie de marché appelée à la rescousse par les dirigeants communistes pour consolider un pouvoir chancelant, va-t-elle toujours les servir ou les trahira-t-elle ? Rongés par le doute, ils optent pour la répression systématique de toute velléité démocratique, emprisonnant à tout va le moindre opposant (comme le pauvre Ph?m Van Quang condamné à 15 ans de prison pour avoir agité un drapeau de feu la république du Sud Vietnam).

Devant les multiples atteintes aux droits de l'homme perpétrées par le régime de Hanoi, les gouvernements occidentaux oseront-ils enfin réagir ou fermeront-ils les yeux au nom du nouveau slogan "stabilité avant tout" que brandissent régulièrement Hanoï et ses partisans ? Et même s'ils veulent réagir, de quelle arme disposent-ils puisque l'embargo et les pressions économiques sont balayés? Comprendront-ils jamais qu'aider les démocrates à s'affermir et empêcher leur anéantissement, c'est veiller à leurs propres intérêts, car cette stabilité si nécessaire aux investissements sera forcément mise à mal s'il n'existe pas de force politique honorable pour prendre la relève le jour inévitable où le régime implosera ?


17/2/1994

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