Après 15 mois de détention arbitraire au Vietnam, M. Dang-Vu Chinh a fini par être relâché par la police vietnamienne, suite à une campagne d’opinion active et une intervention énergique du premier ministre belge (Cf. article ci-contre). Si l’heureux dénouement de cette affaire ne fait pas oublier les milliers de victimes du régime policier vietnamien qui n’ont pas la chance d’être soutenus par l’opinion internationale et un gouvernement étranger, il est opportun d’en rappeler ces leçons évidentes:
- N’en déplaise aux esprits chagrins qui trouvent inutile, anti-productif, voire préjudiciable aux victimes des abus de pouvoir le débat sur la place publique de leur cas, la médiatisation protège plus les persécutés qu’elle ne leur nuit. Se taire sous la menace d’une vengeance possible des bourreaux sur eux, c’est perdre de vue le fait que de toute façon ils sont déjà sans défense entre des mains iniques, que les malfaiteurs, même persuadés d’être impunis, redoutent la lumière et hésitent à commettre leur forfait sous les feux des projecteurs (Staline comme Hitler maquillaient leurs crimes et avaient peur de les voir étalés au grand jour).
- Au devoir de dénonciation incessante des atteintes aux droits de l’homme s’oppose moins la menace des tyrans que l’universelle propension au quant-à-soi, l’arrangement avec le statu quo, l’agacement d’être arraché au confort moral acquis. C’est pourquoi, et aussi pour des raisons pratiques, la défense des cas concrets est plus efficace que des accusations de principe. Et même alors, il faut déployer des trésors d’éloquence pour expliquer et gagner à sa cause les esprits blasés ou frileux. Bref, les dictateurs de tout poil ont pour alliés objectifs notre propre égoïsme et tendance à l’inertie. Sous couvert de prudence ou de raison d’état les hommes politiques les plus démocrates ne se conduisent pas différemment des hommes du commun, et pour qu’ils bougent, une pression de groupe s’avère toujours nécessaire. Sans le ramdam fait à propos de M. Dang-Vu, le gouvernement belge se serait-il décidé à se montrer plus ferme et le gouvernement vietnamien plus coulant ?
- L’égoïsme se renforce souvent des motivations plus spécifiques d’ordre personnel (intérêts commerciaux et familiaux) ou idéologique (divergences d’opinion et d’appartenance partisane). Pour les masquer et justifier leur refus de s’engager, les âmes “vertueuses” choisissent de croire à la culpabilité des victimes dont le triste sort est alors mérité. Des arguments contradictoires sont ainsi invoqués à l’encontre de M. Dang-Vu: soit, tout le monde sait pertinemment que le régime communiste se moque du droit des individus, ceux qui viennent y vivre de leur plein gré n’ont qu’à se prendre à eux-mêmes s’ils y rencontrent des ennuis ; soit, le régime communiste vietnamien s’est largement libéralisé aujourd’hui, si quelqu’un a maille à partir avec le pouvoir c’est qu’il l’a cherché ou a commis une illégalité quelconque ! Adversaires ou sympathisants de Hanoi s’accordent d’ailleurs dans la surestimation (en mal ou en bien) du régime pour décréter l’inanité de toute entreprise de pression extérieure.
- Beaucoup minimisent la portée de l’événement pour refuser leur concours. En particulier les organismes de presse ou de bienfaisance français tiennent pour insignifiant et rejettent tout cas d’atteinte aux droits de l’homme ne comportant ni tortures physiques ni assassinat et ne concernant qu’un nombre limité d’individus. Heureusement qu’il existe encore des personnes pour lesquelles toute injustice à l’égard d’un individu est une insulte contre l'humanité toute entière.
A ces hommes et femmes de bonne volonté, à tous ceux qui, de près ou de loin ont aidé au succès de notre campagne, nous disons merci et bonne continuation pour d’autres combats. Une petite victoire contre la machine oppressive n’abolit pas l’injustice mais gonfle les coeurs pour les luttes à venir.
Paris, 3/3/1998