Le droit à l’insurrection
(Allocution lors de la Journée internationale desDroits de l’homme, Paris, 8/12/1984)


Dénoncer la violation des Droits de l’homme partout où elle a lieu est pour tous les combattants de la liberté une obligation incessante et non seulement l’affaire d’une seule journée. Cependant, pour que notre lutte ne reste pas isolée, il est bon que parfois, comme aujourd’hui, nous nous réunissons pour échanger nos points de vue et mesurer nos efforts.

Pour tous ceux qui connaissent tant soit peu les régimes communistes, parler de la violation des Droits de l’homme dans les pays sous leur domination équivaut à commettre un pléonasme. Lorsqu’un parti unique dont les membres se recrutent non sur la compétence mais sur le degré d’orthodoxie idéologique, laquelle suppose l’auto-aveuglement et l’abdication de tout esprit critique, lorsqu’un tel parti prétend régir tous les aspects de la vie de la nation, les résultats ne peuvent que s’avérer catastrophiques. Et pour se maintenir au pouvoir, malgré la faillite économique et sociale, ces régimes doivent s’appuyer sur un appareil policier omniprésent et omnipotent, multipliant les arbitraires et faisant fi des droits les plus élémentaires de leurs citoyens.

L’un des tous premiers actes de gouvernement des dirigeants communistes dès qu’ils prennent le pouvoir a toujours été de fermer les écoles de droit et de dissoudre l’ordre des avocats. Ne connaissant que le langage de la répression, le pouvoir communiste considère tous ses ressortissants comme des criminels en puissance qu’il lui faut débusquer par tous les moyens à sa portée. Et ces habitants, comme dans »1984 » de George Orwell, s’habituent si bien à ces procédés brutaux qu’ils arrivent par une sorte de perversion de l’esprit à rendre grâce au Parti de ne pas les avoir plus maltraités.

Cependant, pour la propagande extérieure, les dirigeants communistes promulguent de temps à autre une constitution et même un code qu’ils interdisent au peuple de posséder et, bien sûr, qu’ils ne se donnent même pas la peine d’appliquer, excepté naturellement l’article sur la condamnation des individus dont l’activité menace le socialisme, comme par exemple le fameux article 58 cité par Soljénitsyne, article toujours assez vague pour permettre toutes les interprétations possibles au détriment des victimes choisies par les sbires du régime. De l’aveu même du ministre de la justice du Vietnam communiste Phan Hiên, le nouveau Code pénal rendu public le 8 novembre de cette année a principalement pour but de punir toutes les atteintes à l’existence du système socialiste. En vertu de quoi un immense Goulag s’étend sur tous les territoires en régime communiste, sans exception.

Diverses organisations citent le chiffre de 60 000 prisonniers politiques au Vietnam, les autorités de Hanoï n’en reconnaissent que 10 000 (désinformation s’impose), mais quel que soit le chiffre exact, nous devons nous rappeler que dans le Vietnam communiste, comme dans tous les pays de derrière le rideau de fer ou le rideau de bambou, c’est toute la population qui est prise en otage, traitée comme des détenus en sursis sinon en fait, que sa liberté, même réduite à sa simple expression avec les interdictions de se déplacer, de travailler, de se grouper et de s’exprimer à sa guise, risque à tout instant d’être remise en question par la menace permanente des camps dits de rééducation qui ne le cèdent en rien aux camps de concentration nazis. Particulièrement visés par le pouvoir carcéral sont tous ceux qui par leur vocation ou leur métier s’intéressent à la morale ou à la vie publique, tels que les intellectuels, les écrivains et les artistes ainsi que les religieux. En ce moment même où le monde chrétien s’apprête à fêter Noël se décide au Vietnam le sort d’un groupe de caodaïstes accusés de propagande anti-révolutionnaire.

Les communistes vietnamiens ont beau museler l’opinion intérieure et chanter leurs propres mérites à l’extérieur, la vérité sur la nature réelle de leur régime finit par éclater au grand jour grâce à la continuelle mise en garde des combattants de la liberté et surtout à la spectaculaire démonstration des centaines de milliers de boat-people qui préfèrent tout quitter et aller au devant de la tempête et des pirates plutôt que de rester au paradis socialiste. Malgré l’aménagement des départs officiels, leur nombre ne tarit pas. Le Haut commissariat des réfugiés en cite le chiffre de 16 000 pour cette année, et ce sans tenir compte des disparus en mer, seulement leur périple passe inaperçu dans le contexte actuel de crise. Pour diminuer l’impact de leur situation, leurs détracteurs les traitent de réfugiés économiques, mais même si c’est plutôt la misère que la répression qui les pousse à partir coûte que coûte, leur geste désespéré représente un authentique acte politique puisqu’il fait le constat de la faillite du système communiste, puisqu’il porte la condamnation du régime coupable de les avoir réduits à la misère, d’avoir fait d’un pays relativement riche en potentiel humain et en ressources naturelles, même sous l’époque coloniale, un pays exsangue tombé au niveau des pays les plus pauvres de la planète, loin même derrière l’Ouganda.

Et pourtant, en dépit de la pénurie généralisée, le paysan vietnamien doit en plus produire pour nourrir le grand frère soviétique en fruits et légumes en contrepartie de l’aide accordée par l’URSS, aide employée exclusivement à entretenir les cadres du Parti et une colossale armée, la 4ème du monde avec son 1,5 million d’effectif et un équipement ultra-moderne. Non contente d’exiger ce remboursement en nature, l’URSS réclame encore une compensation en labeur humain, et chaque année, en application des accords passés entre Moscou et Hanoï comme celui de décembre 1983 qui fait mention d’une main-d’œuvre de 50 000 personnes, chaque mois des cargaisons entières de manœuvres sont déportées dans les pays de l’Est, jusqu’en Sibérie, pour la plus grande gloire du marxisme-léninisme.

Devant des violations aussi flagrantes des Droits de l’homme, devant les malheurs insurmontables des peuples tombés sous le joug communiste, nous tous qui sommes épris de liberté et avons le privilège d’en jouir, nous n’avons d’autre choix que de manifester notre solidarité avec les résistants de l’intérieur, de leur apporter notre soutien moral et si possible financier, bref, en conjuguant nos efforts, d’œuvrer de toutes nos forces à la chute des oppresseurs. Comme le stipule l’article 35 de la Déclaration dé Droits de l’homme de 1793, revendiquons pour les peuples opprimés le droit à l’insurrection car « quand le gouvernement viole le droit des peuples, l’insurrection est pour le peuple et chaque portion du peuple le plus sacré des droits et le plus indispensable des devoirs ». Que les régimes totalitaires tombent pour céder la place à une véritable démocratie, tel est notre vœu de nouvel an pour le Vietnam et pour tous les pays souffrant de la tyrannie.

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