La visite de François Mitterrand au Vietnam : ultime manifestation d'une diplomatie grotesque, cynique et inconséquente.

Triste symbole que la première visite d'un chef de l'état français au Vietnam depuis son indépendance soit pour cautionner une dictature sanguinaire et incapable. Sachant combien Monsieur François Mitterrand se soucie de sa propre image et de celle de la France dans le monde, on se demande quelles raisons ont pu le pousser à braver ainsi l'opinion publique en ce qui concerne le Vietnam. Depuis que les langues se sont déliées à l'Est, personne ne peut plus nier l'inhumanité et l'incompétence des régimes communistes. Et le million de boat people ainsi que les soixante millions de Vietnamiens crevant la faim qui ne font pas partie de la nomenklatura sont là pour témoigner de la cruauté et de l'incapacité du régime de Hanoi. Cette sombre réalité ne semblant pas rebuter les diplomates français, force est de reconnaître que la fine intelligentsia de gauche qui forme l'entourage du président et constituait auparavant un fort lobby pro-Hanoï fait toujours preuve de courte vue et méprise souverainement les Vietnamiens dont ils prétendent défendre la cause.

Pour qui connaît tant soit peu l'histoire des relations franco-vietnamiennes, la politique de la France à l'égard du Vietnam n'a cessé d'être une série de mauvaises appréciations et de rendez-vous manqués. Dans le passé, à part la désastreuse politique coloniale, elle s'était illustrée par le retour en force au lieu d'un retrait en douceur après la deuxième guerre mondiale, le soutien trop tardif aux forces nationalistes affaiblies par la répression coloniale et le terrorisme rouge, puis l'hostilité envers le gouvernement de Saigon lors de la deuxième guerre du Vietnam. Depuis 1975, ce sont les risettes et les complaisances envers le régime communiste de Hanoi malgré affronts et rebuffades que les Vietnamiens observent avec perplexité. Quels charmes possède donc le Vietnam communiste et quels avantages la France compte-t-elle en tirer pour laisser les personnalités françaises avaler tant de couleuvres et commettre tant de bévues ?

Certes, il existe des liens vivaces entre la France et le Vietnam, tissés bon gré mal gré par près d'un siècle de colonisation française. Et les dirigeants communistes savent jouer sur la corde sensible, faisant agiter tantôt les prédispositions favorables de la gauche française envers son régime "socialiste", tantôt exploitant la nostalgie comme un certain complexe de culpabilité des anciens colons, pour amener la diplomatie française à agir en leur faveur et extorquer le plus d'argent possible au gouvernement français. Et au cas où la corde vibre en vain, il reste l'appétit financier avec le miroitement d'un Vietnam de cocagne aux ressources à l'encan et à une main d'œuvre à bas prix pouvant rapporter de rapides et substantiels profits aux investisseurs accrédités, argument par lequel le vice-premier ministre vietnamien Phan Van Khai s'efforce de séduire les entreprises françaises lors de sa récente tournée en Europe.

A ces chants de sirènes, ajoutez des considérations hautement politiques : en nouant des liens privilégiés avec le Vietnam avant la reprise des relations américano-vietnamiennes, la France y assoira son influence économico-culturelle et marquera ainsi sa présence dans l'Asie du Sud-Est, chasse gardée jusqu'ici des Anglo-Saxons. Au vu d'un tel but, que signifient donc quelques petites humiliations (les attitudes désobligeantes des responsables vietnamiens envers le ministre des affaires étrangères Roland Dumas, ou la fin de non-recevoir pour une rencontre avec un écrivain opposée à Madame Danielle Mitterrand) et quelques concessions aux desiderata de Hanoï (comme l'engagement des communistes aux ordres de Hanoï pour gérer la section vietnamienne de RFI ou l'attribution du prix de la francophonie à un apparatchik stalinien) ?

Le hic est que la France qui se targue d'être la patrie des droits de l'homme ne peut faire fi de ses principes sans nuire à son respect d'elle-même et sans détruire le mythe qui fait sa grandeur. En prenant un tel risque par son soutien ouvert à un régime honni par son peuple, François Mitterrand estime-t-il l'annihiler par un essor de la francophonie et une bonne implantation de l'économie française dans la région ? Mais au Vietnam, même les Français préfèrent faire usage de l'anglais, et ce n'est pas la complaisance de la France à l'égard d'un régime détesté qui incitera les Vietnamiens à aimer la France et sa culture, sans compter que les futurs dirigeants d'un Vietnam enfin démocratique feront grief à la France de son étrange calcul. Quant aux bénéfices pour les entreprises françaises, dans l'état actuel du Vietnam, de plus en plus endetté et donc insolvable, avec la gabegie qui y règne, il faut être bien optimiste pour les envisager.

Un gouvernement français sagace peut très bien concilier les intérêts de la France avec sa préoccupation des droits de l'homme en pesant de tout son poids et de tout son prestige pour accélérer le changement de régime au Vietnam. Au lieu de cela, on voit la diplomatie française multiplier les faux pas dans ses relations avec le Vietnam. Est-ce une fatalité que France et le Vietnam doivent toujours se manquer ? Est-il possible de rêver à une plus intelligente politique vietnamienne de la France ?

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