Quelle leçon osent-ils encore donner ces gouvernants européens qui mettent au ban de l'infamie l'Autriche pour cause de nomination de quelques ministres d'extrême-droite, par ailleurs coupables d'aucun délit sinon d'intention supputée par les âmes bien pensantes, et déroulent en même temps le tapis rouge pour les dictateurs les plus criminels de la planète ? MM. Tony Blair et Jacques Chirac qui jouaient les vierges effarouchées en répugnant à figurer sur la même photo qu'un dirigeant autrichien n'ont exprimé aucun scrupule à embrasser le boucher du Kremlin en pleine guerre de Tchéchénie ou à flatter le fossoyeur de Hanoï en les assurant de leur fidèle amitié !
Que l'Europe accueille officiellement le secrétaire général du parti communiste vietnamien constitue déjà en soi un scandale, qu'elle lui réserve en sus les honneurs dus à un chef de l'Etat montre que pour faire plaisir à un dictateur, elle est prête à s'asseoir sur ses propres règles comme sur celles du pays hôte. En confirmant le rôle prépondérant d'un simple chef de parti et en offrant à M. Lê Kh? Phiêu une légitimité qu'il ne possède pas constitutionnellement, puisqu'en principe les plus hauts personnages du Vietnam sont le président et le premier ministre, l'Europe conforte la dictature du parti communiste et lui permet de se passer d'une représentativité de façade, alors que la normalisation des relations avec le Vietnam devait avoir pour but de pousser le régime à se démocratiser!
Nos gouvernants expliquent leur inconséquence par la nécessité d'une attitude réaliste. Si seulement leur soi-disant realpolitik avait des résultats positifs ! On ne voit pas quel avantage l'Europe entend tirer de sa mansuétude envers le régime communiste de Hanoï, mais on sait que déjà des centaines de millions de dollars tirés des impôts des contribuables européens sont versés en aide au Vietnam pour des dépenses somptuaires sans aucun bénéfice matériel ou moral pour les peuples concernés. Si encore ces largesses servaient à protéger les ressortissants des pays donateurs fourvoyés au Vietnam! Hélas une étrange pusillanimité empêche les diplomates européens de peser en faveur de leurs concitoyens en détresse : on a vu dans le cas de M. Tr?nh Vinh Bình comment la Hollande a laissé extorquer de ses biens et condamner iniquement un de ses sujets ; que n'a-t-elle, pour sa crédibilité, agi comme le Canada qui n'a cessé d'intervenir pour sauver une de ses citoyennes, pourtant coupable de trafic d'héroïne, et n'a pas hésité à rompre les relations avec Hanoï et lui couper ses aides pour protester contre l' exécution de cette dernière !
Le plus triste est qu'en jouant sur les principes, les hommes politiques non seulement se déshonorent eux-mêmes, mais corrompent l'esprit de leur peuple, banalisant la double pensée et les trahisons par intérêt. C'est ainsi que du sein des milieux qui militaient contre la présence de Pinochet en Europe et voulaient le juger, peu ont élevé la voix (merci à Delfeil de Ton du Nouvel Observateur qui a été quasiment le seul à vraiment s'en indigner) contre les risettes faites à Lê Kha Phiêu, général qui a acquis ses galons avec les massacres de Huê et dont le pouvoir ne se maintient que par la ruse et la violence, et auprès duquel le Pinochet du temps des stades n'est qu'un enfant de choeur. Le double langage sévit surtout en France où l'idéologie gauchiste n'en finit pas de laisser des séquelles : les media y arrivent toujours à excuser les pires dictateurs pourvu qu'ils soient rouges ou rosés.
Cependant que tous les peuples du monde crèvent de l'injustice et de l'égoïsme et aspirent à plus de spiritualité et de moralité, conditions sine qua non d'une vie meilleure, la gent politique internationale, en particulier celle des pays riches qui devraient servir de locomotives aux autres, se complaît dans le cynisme et la lâcheté. On se déclare révolté par les invasions de territoire, mais si l'on joue les fiers-à-bras contre le petit Irak, on s'aplatit devant la grosse Chine à laquelle l'organisation mondiale du commerce vient d'ouvrir les bras nonobstant l'annexion du Tibet et la féroce répression politique et religieuse en cours. Que les gouvernements prennent garde à ne pas trop piétiner leurs propres valeurs! A force de duplicité, ils sapent le fondement de leur propre société car de la prospérité à la barbarie la frontière ne passe parfois que par le fil ténu de la conscience.
4/6/2000