La guerre, mais contre qui ?


L'embrasement des Balkans avec son cortège d'horreurs rappelle aux Européens confits dans leur confort la terrible réalité de la guerre que mènent imperturbablement les stratèges et politiciens depuis des millénaires. A l'ère des droits de l'homme où la dignité de l'homme en tant qu'être humain est partout reconnue, du moins en théorie, comment des guerres entre nations peuvent-elles encore exister, cela dépasse l'entendement, et pourtant la guerre est toujours considérée comme une fatalité dans des cas présentés comme urgents et inéluctables.

En décidant de bombarder la Yougoslavie (Serbie et Monténégro), les chefs d'état des pays de l'OTAN ont expliqué leur résolution par la détermination de faire plier M. Milosevic, leur homologue yougoslave, dans le but de sauver les Kosovars d'une entreprise de nettoyage ethnique. Tout le monde a pu constater ce qu'il en a résulté, à savoir le renforcement de l'autorité de M. Milosevic en Serbie et l'accélération de ladite épuration.

Depuis leur fondation, les civilisations ont beaucoup évolué, les formes et les compositions du pouvoir avec, ainsi que les rapports de l'individu à ce pouvoir. Le temps n'est plus où les habitants d'un pays tout comme ses richesses sont la propriété légitime des souverains qui se faisaient la guerre pour s'enrichir et augmenter leur puissance aux dépens de l'autre, tel que le démontre la réponse de Crésus à Cyrus au sujet des pillages exercés par l'armée de ce dernier sur son royaume vaincu : "Rien de tout cela ne m'appartient plus ; elle (l'armée) prend et emporte ce qui est à toi". Est aussi révolue l'époque où des peuples sont regardés comme inférieurs ou barbares méritant d'être subjugués sinon pour leur propre bien, du moins pour celui des conquérants dont c'est la mission. Dans cette logique où le ressortissant d'un pays est assimilé à une quantité négligeable, un bien du souverain ennemi ou en tout cas son partisan zélé, la guerre contre un pays et tous ses habitants peut se comprendre, mais de nos jours quand on reconnaît l'autonomie de la personne humaine et que les hommes au pouvoir sont dissociés de ceux qui en dépendent, comment encore la justifier ? Certes, des dirigeants illuminés et mégalomanes voudront toujours revenir à la logique d'antan en englobant dirigeants et dirigés du pays hostile en un seul bloc à réduire à merci. Est-ce pour cela qu'il faut les imiter, fût-ce pour les contrer ?

Pour la paix et le bonheur du genre humain, tous les dictateurs bourreaux et exploiteurs de leur peuple sans exception, des autocrates de Chine et du Vietnam à celui de Serbie en passant par les potentats africains, doivent être éliminés. Mais pas en mettant à feu et à sang les pays qu'ils détiennent en otage, faisant des peuples sous leur joug des victimes doubles. Rien d'étonnant à ce qu'ils se resserrent contre ceux qui ajoutent à leurs maux, pour le plus grand profit des dictateurs menacés. Les bombardements des Américains au Vietnam naguère et en Irak aujourd'hui tout comme ceux de l'OTAN en Yougoslavie actuellement vont à l'encontre du but souhaité, si tant il a été vraiment dans leur intention de faire tomber les tyrans.

Frapper un pays et un peuple pour punir ses dirigeants relève d'une idée archaïque de la responsabilité collective, commode pour couvrir de sordides calculs d'intérêt. Est-ce qu'il faut pour autant se croiser les bras devant l'insoutenable et laisser les despotes agir à leur guise? Au contraire! La guerre est plus que jamais nécessaire, mais pas contre un pays ou un peuple, seulement contre la poignée des criminels au pouvoir. Comment? Par le biais de tribunaux internationaux ayant droit de suite et munis de tous les moyens financiers nécessaires (de toute façon bien inférieurs au coût d'une guerre cruelle et souvent inutile) pour l'exécution de la sentence capitale. Ce serait de l'assassinat institutionnalisé s'offusqueront juristes et opposants à la peine de mort. Prétendent-ils lui préférer les boucheries illégales perpétrées par de furieux bellicistes ?

Les détenteurs du pouvoir et ceux qui y aspirent ne tiennent nullement à l'instauration de tels tribunaux qui leur ôtent cette puissance régalienne de droit de vie et de mort sur des populations entières, sans compter qu'ils les menacent directement s'ils ont des visées despotiques . Il faut s'attendre à ce qu'avec les lobbies des marchands d'armes et des industriels voraces, ils fassent tout pour empêcher leur mise en place. Il dépend de notre prise de conscience et de notre ténacité pour les contraindre à ce faire si nous voulons que soient définitivement reléguées dans le passé les atroces images comme celles transmises ces jours-ci sur les media au sujet des Balkans.

12/4/1999

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