La démocratie entre leurre et duperie


La fructueuse collaboration entre capitalisme et communisme au nom de la démocratie dont les uns prétendent soutenir l'instauration progressive et les autres promettent la réalisation en temps opportun vient de connaître un "bond en avant" avec la réunion des donateurs du Vietnam à Paris ( 9-10/11) et la conférence de l'Apec (18-19/11) sous influence chinoise à Seattle.

Les Chinois peuvent afficher leur satisfaction et leur mépris devant l'empressement des nations occidentales à enterrer Tian An Men et à courtiser leur faveur pour l'obtention de contrats juteux. Leur ministre des affaires étrangères peut écarter dédaigneusement tout "geste" de libéralisation politique demandé par Washington et leur président donner un camouflet à Clinton en annonçant en plein séjour aux Etats-Unis son intention de se rendre à Cuba, sans peur que les Etats-Unis leur retire la clause de "la nation la plus favorisée". Malgré son appel pour le respect en Asie de la liberté, un "instinct humain", le secrétaire d'Etat Warren Christopher devra se contenter d'une permission de visiter les prisons chinoises promise à la Croix rouge internationale.

A Paris, alors qu'il ne s'attend qu'à 1,5 milliard d'aide au maximum, le Vietnam s'est vu accorder 1,8 milliard de dons et crédits, sans aucune contrepartie. Certes, dans la déclaration finale les pays donateurs, la France en tête, notent bien la nécessité d'accorder "plus d'attention à la démocratie et aux droits de l'homme", mais cette recommandation de pure forme ne vise qu'à leur donner bonne conscience. Hanoi se charge tout aussitôt de leur offrir un démenti cinglant par la condamnation de 4 bonzes et d'une quinzaine de "provocateurs" bouddhistes suivie par l'interdiction d'une conférence sur la démocratisation du pays à Saigon après avoir fait miroiter sa réunion (le temps de se concilier les bonnes dispositions des financiers internationaux) aux media occidentaux volontiers crédules.

On peut comprendre que la convergence des intérêts d'un capitalisme en mal de délocalisation et de marché, appâté par une main d'œuvre au rabais et une clientèle massive potentielle, avec ceux d'un communisme à bout de souffle cherchant à se revigorer par le biais de l'ouverture à l'économie de marché, les incite à une collaboration active, mais l'invocation de la démocratie pour justifier cette alliance relève d'une hypocrisie de type masochiste. Le leurre de la démocratisation nécessairement concomitante du changement économique qu'utilisent les occidentaux pour apaiser d'éventuels idéalistes et masquer leur propre appétit, loin de leur sauver la face, les soumet à de perpétuelles avanies de la part des communistes. Tout en feignant de se rendre aux objurgations occidentales en matière de démocratie, ces derniers l'interprètent à la mode populaire qui leur concède tout pouvoir de coercition sur leurs concitoyens.

Dans ce contexte, il est vain d'espérer un quelconque changement politique en Chine et au Vietnam par la grâce du développement économique. Ce n'est pas le jeu de dupes auquel se livrent capitalistes et communistes pour sauvegarder leurs intérêts qui fera avancer la démocratie dans ces pays mais l'obstination des démocrates chinois et vietnamiens déterminés à lutter pour la liberté, avec ou sans aide extérieure, au prix parfois de leur propre vie.

1/12/1993

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