Avec l'expulsion des terroristes iraniens vers ... l'Iran, décidée le 29 décembre, faute de clore l'année en beauté, la diplomatie française se révèle fidèle à elle-même en ce qui concerne sa propension à "baisser pavillon" devant l'intimidation et l'impudence.
Il est compréhensible et parfois souhaitable qu'un gouvernement cède momentanément au chantage pour sauver dans l'immédiat des vies humaines. Par contre choque la capitulation devant les menaces supposées ou réelles alors qu'aucun danger imminent ou prévisible n'est en jeu, parce qu'elle dénote non seulement la pusillanimité mais aussi un manque de lucidité pour estimer la situation à sa juste valeur.
Dès que la reddition à la violence devient non pas une mesure d'urgence et provisoire mais une politique délibérée, elle suscite des interrogations quant à la grandeur morale et aux qualités d'analyse de ceux qui la prennent. Nul ne conteste l'obligation pour les gouvernants de veiller aux intérêts de leur pays, le problème est de savoir où se trouvent ces intérêts et s'ils peuvent être sauvegardés à n'importe quel prix.
Face à des malfrats qui ne connaissent que la violence et la brandissent comme une menace, a priori, si l'on n'est pas prêt à en faire aussi usage pour se défendre ou faire valoir ses droits, autant capituler pour limiter les dégâts. C'est sur ce pari sur l'impuissance des peuples occidentaux trop englués dans leur confort et atomisés dans leur individualité pour résister ou se battre, que les dictateurs se basent pour imposer leurs lois au mépris des plus élémentaires droits de l'homme sans crainte d'ostracisme.
Pourquoi prendraient-ils des gants quand chaque jour apporte de l'eau au moulin de leur arrogance? Ce n'est pas l'expédition ratée contre Saddam Hussein qui peut peser sur la détermination belliqueuse de Milosevic, ni l'empressement de tous à enterrer Tian An Men qui fait réfléchir Hanoi avant d'emprisonner ses opposants.
Lorsque la complaisance envers les dictateurs ne découle d'aucune contrainte pressante et ne se justifie que par la signature de quelque contrats commerciaux, il n'est guère surprenant qu'elle soit perçue par eux comme un signe de faiblesse alliée à de la cupidité, et suscite de leur part moins de la reconnaissance qu'un mépris affiché. Comment peut-il en être autrement quand, par exemple, l'humiliation de son ministre des affaires étrangères rend la France non pas coléreuse mais encore plus accommodante ?
Il est temps pour tous les pays démocratiques de s'écarter d'une real politik servant à couvrir trop de démissions et de compromissions. Si encore, elle sert effectivement leurs intérêts économiques comme le prétendent ses partisans, elle peut à la rigueur se défendre. Mais le résultat le plus probant est la neutralisation des avantages de la complicité par l'arbitraire des lois locales et l'hostilité des populations sous le joug. Tout cela sans compter la perte de leur crédit moral qui donne force et fierté à leurs citoyens. Que la France des droits de l'homme s'insurge contre les vains calculs de cette politique pour décider que désormais la brutalité et l'arrogance ne paient plus.
(Paris, Tin Tuc, janvier 1994)