Alors que les bombardements sur la Serbie font rage sans affaiblir Milosevic,
bien au contraire puisqu'ils ont suscité autour de lui une sainte
alliance de tous les Serbes dont une bonne partie lui étaient auparavant
hostiles et défilaient par dizaines de milliers contre lui en janvier
1997, l'opération "Force déterminée" de l'OTAN
perd ce nom pour prendre celui de "Force alliée". A croire
que les Occidentaux ne manifestent plus autant de détermination à imposer
leur point de vue, soucieux seulement de faire montre de leur puissance sans
causer des risques mortels. A ceux de leur camp bien entendu, les pertes
civiles chez les Serbes comptant pour du beurre. Même le calvaire programmé des
Albanais du Kosovo, pour lesquels chacun y va de sa compassion ou de son
indignation, n'a guère pesé dans l'option guerrière
des alliés dans la mesure où tous savaient pertinemment que
la première réaction des Serbes aux missiles serait de s'en
prendre plus brutalement encore aux Kosovars au nom desquels on les bombarde.
Si personne ne conteste la nature despotique et sanguinaire du régime de Belgrade, toujours communiste il faut le rappeler, la manière dont les gouvernements occidentaux se conduisent face à la poudrière des Balkans laisse songeur, tant ils agissent comme si l'histoire ne leur a rien appris : encourager l'indépendance des petites nations sans en mesurer les conséquences, avoir affaire à un tyran et à des fanatiques mais espérer qu'ils se montrent raisonnables, redouter le conflit mais poser un ultimatum qui accule l'adversaire sans lui laisser une voie de sortie lui sauvant la face, pour finir par prétendre mener une guerre sans dommages majeurs.
Les responsables alliés invoquent le spectre du Vietnam pour expliquer leur refus de s'engager à fond, mais ils sont déjà en train de répéter les erreurs du Vietnam . Certes, les temps ont bien changé par rapport à l'époque où les bombes déversées sur le Nord-Vietnam provoquaient un tollé monstre et des manifestations anti-américaines dans le monde entier, et de nos jours les attaques aériennes bien plus graves et en plus grand nombre des Etats-Unis contre l'Irak se déroulent dans l'indifférence générale. Mais ni au Vietnam, ni en Irak, et ni en Serbie actuellement, l'objectif affiché de faire plier les dictateurs par les bombes n'est susceptible d'être atteint. Pis encore, à chaque fois la population choquée et plus facilement manipulée s'est resserrée autour de ses dirigeants dont le pouvoir s'en trouve renforcé.
Par ailleurs, si les Etats-Unis s'étaient embourbés au Vietnam,
ce n'est point pour s'y être trop engagés mais pour ne pas s'y être
totalement investis, se limitant aux actions défensives dans le Sud
et contrecarrant toute hostilité offensive contre Hanoï au Nord.
On ne fait pas une guerre à moitié sous peine de perdre comme
au Vietnam ou d'avoir à recommencer comme en Irak. Maintenant contre
la Serbie s'observe au sein des alliés le même manque de résolution à aller
au bout de la logique d'intervention qui exige l'entrée au combat des
troupes terrestres nécessaires à la protection de ceux que l'OTAN
se fait le devoir de sauver du nettoyage ethnique.
Les justifications emberlificotées des responsables alliés
cachent mal une politique inconséquente due à des contradictions
insurmontables au sein des démocraties libérales. Tiraillés
entre l'interventionnisme humanitaire qu'exige l'idéal démocratique
et l'égoïsme de nanti réfractaire à toute atteinte
au confort matériel et au sacrifice physique, les membres de l'OTAN
sont condamnés aux palabres et aux déploiements de force inutiles
et finiront par être obligés de payer à un prix bien
plus fort qu'escompté leur manque de courage et de lucidité.
30/3/1999