Illusoire francophonie

Le choix de Hanoi comme capitale de la francophonie l’espace de quelques jours ne manque pas de rendre perplexes tous les observateurs avertis du Vietnam. En voulant contre toute évidence considérer le Vietnam comme un pays francophone, les dirigeants français se sont manifestement trompés d’époque ou tout simplement confondu leur désir avec leur nostalgie du fameux temps de l’Indochine française.

Nul n’ignore qu’actuellement au Vietnam, sur une population de 75 millions, à peine quelques milliers de personnes parlent le français. Et encore, il s’agit en majorité des personnes âgées de plus de 50 ans. Comment peut-il en être autrement quand les quelques millions des membres de l’ancienne classe bourgeoise acquise à la culture française ont été décimés ou réduits à l’exil ?

Obsédée par l’idée de prendre pied en Asie, dans la chasse gardée anglo-saxonne, la France a voulu profiter de la politique d’ouverture du Vietnam pour asseoir sa présence dans la région en s’appuyant sur ses liens historiques avec le pays. Aides et subventions combinées avec une complaisance extrême envers les ennemis d’hier sont censées faire revenir le Vietnam dans l’orbite française dont le Sommet de la francophonie à Hanoi doit constituer le symbole.

Il est à craindre que les milliards déversés par la France pour arracher au Vietnam son adhésion au monde francophone et l’utilisation de Hanoi comme lieu de tenue du Sommet de la Francophonie soient dépensés en pure perte sinon pour le rayonnement de la France, du moins pour le développement de la langue française. S’y opposent à la fois la mauvaise volonté du pouvoir communiste et l’inconséquence des patrons français.

Les contribuables français doivent savoir que depuis deux ans, alors même que le Vietnam reçoit des aides pour l’impulsion de la francophonie, le gouvernement vietnamien engage des actions pour rendre obligatoire l’étude de l’anglais dans toutes les écoles. En même temps, une offensive officielle a été menée contre la rédaction en français au lieu de l’anglais des contrats, dossiers et prospectus, même si les sociétés concernées sont des sociétés françaises ! La seule réaction française dont on a entendu parler a été celle de l’ industrie pharmaceutique, assez puissante pour tenir tête aux abus de Hanoi.

Et il faut dire qu’au nom du profit, la plupart des hommes d’affaires français sont prêts à toutes les concessions, même à aller au-devant des exigences supposées de leurs clients. C’est ainsi qu’au Vietnam les entreprises bien françaises s’affublent de noms anglais, engagent par priorité du personnel parlant anglais et non français, et qu’ en France dans certains groupes tout à fait français l’anglais est utilisé non seulement comme langue commerciale mais aussi comme langue courante. Si les Français méprisent leur propre langue, comment peuvent-ils l’imposer aux autres ?

L’essor d’une langue va de pair avec la puissance de l’Etat qui la préconise. A la dynamique de l’empire britannique puis de l’hégémonie américaine répond l’essor de l’anglais sans que Grande-Bretagne ou Etats-Unis fassent beaucoup d’efforts pour le promouvoir. Si les nations francophones prospéraient, nul doute que le français prendrait un nouvel envol. La France s’aveugle en prétendant susciter un renouveau de la francophonie par de dispendieuses grand-messes sans lendemain. Quand donc les hommes politiques français comprendront-ils qu’à défaut d’une expansion économique, le meilleur moyen de servir la France et la francophonie est encore de rester fidèle à l’idée d’une France généreuse, Patrie des Arts et des Lumières, et non de la trahir en soutenant des dictatures comme le pouvoir communiste vietnamien, en vertu d’une soi-disant realpolitik?

4/11/1997

Retour à DPN