Duo impérial

En cédant aux pressions du lobby pro-chinois et à sa propre envie de faire un fabuleux voyage touristique, le président Clinton, non seulement enterre « Tiananmen » et la politique des droits de l’homme longtemps prônée par les Etats-Unis, mais aussi consacre le triomphe de l’empire du milieu communiste.

Quoi de plus hautement symbolique que cet accueil en grande pompe du président américain venu avec une suite d’un millier de personnes par les dictateurs au pouvoir sur la place même où furent massacrés des centaines d’étudiants pour crime de ferveur démocratique ? Et ce ne seront pas la timide réserve de M. Clinton sur le massacre de Tiananmen qualifiée d’ « erreur » (ue bavure !) et l’évocation du Dalaï-lama comme d’un « homme honnête » lors d’un débat télévisé avec M. Jang Jemin qui en réduiront la portée. Ce dernier, qui n’en est que trop conscient, lui passe aisément cette petite provocation, d’autant plus qu’elle l’auréole en retour d’une image de modéré et d’ouvert aux yeux de l’opinion publique. D’ailleurs, en représailles de cette sortie prévue, les autorités chinoises ont déjà fait avaler plusieurs couleuvres à la diplomatie américaine : refus de visas à trois journalistes de Radio Free Asia pourtant choisis par M. Clinton pour une interview exclusive, arrestation préventive des dissidents chinois juste avant l’arrivée de la délégation américaine et tri sévère des étudiants censés représentés la jeunesse chinoise à converser avec le président américain.

Appâtés par le milliard de consommateurs en puissance de leurs produits que sont les Chinois, les industriels américains poussent leur président à un « engagement constructif » envers Pékin. Mais constructif pour qui ? Pour leurs finances à ce qu’ils espèrent, bien qu’on ne voie pas comment elles peuvent être très juteuses en ces périodes de récession alors que même avec une Chine au maximum de sa croissance en 1997 le commerce des Etats-Unis supportait un déficit de 50 milliards de dollars. A moins que ce ne soit seulement pour la protection de ces finances, les experts ne cessant de faire valoir que la crise asiatique ne serait contenue sans gagner l’Occident que par la non-dévaluation du yuan, non-dévaluation que Pékin veut faire payer au prix fort. L’engagement américain serait constructif pour les Chinois ? Certainement pas pour le peuple chinois délaissé au bon vouloir de ses dirigeants contre la tyrannie desquels n’existe plus aucune forme de sanction extérieure, mais incontestablement pour ces derniers, confortés désormais dans leur pouvoir absolu et leur rêve de grandeur.

L’accroissement exponentiel des forces armées chinoises depuis des lustres, son attitude agressive envers ses voisins telles l’appropriation des îles Spratley et Paracel ou la poussée continuelle de ses frontières vers l’intérieur du Vietnam, sa reprise en main de Hong Kong et ses visées de conquête sur Formose sans compter l’annexion du Tibet que les Occidentaux entérinent sans broncher – MM. Chirac et Jospin se refusant même à recevoir le Dalaï-lama par peur de mécontenter Pékin (saluons ici le trop idéaliste gardien de musée Gilles Blanchard qui s’est immolé par le feu le 17/ à Meudon en geste de protestation contre l’assujettissement du Tibet) – montrent la détermination des autocrates chinois dans leur volonté expansionniste à l’exemple de leurs prédécesseurs impériaux. Tout à leurs calculs à court terme, les responsables américains, loin de contrer cette ambition impériale, s’emploient à la seconder en acceptant un transfert à la Chine de technologies « duales », aussi bien civiles que militaires, sans tenir compte des mises en garde sur le renforcement d’un adversaire potentiel.

L’ironie de l’histoire est que la montée de puissance de la Chine suite à l’écroulement de l’URSS puis la ruine du géant japonais, qui inquiète tous les pays de la région, à commencer par le Vietnam, proie millénaire de l’empire, nous est présentée par les politologues occidentaux comme un facteur « stabilisateur », susceptible d’endiguer la crise monétaire qui secoue l’Asie et risque de déferler sur les autres continents. Ce rôle positif décerné à la Chine cache mal le désir des pays riches de préserver coûte que coûte leur sacro-saint niveau de vie, quitte à s’allier avec une dictature sanglante et à lui abandonner s’il le faut tout l’Extrême-Orient, puisque la seule stabilité que peut apporter une puissance agressive est celle acquise sur des pays conquis et soumis. Vu sous cette optique, le duo impérial américano-chinois fait froid dans le dos et présage de graves troubles à venir pour les petits pays concernés.

Paris, 1er juillet 1998

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