Double nationalité

Pour clore les protestations de l’Ambassade de Belgique dans le cas de M. Dang-Vu Chinh (V. TT n°...), à bout d’arguments, les autorités vietnamiennes n’ont rien trouvé de mieux que le prétexte d’une “double nationalité" de l’intéressé leur permettant, en terre vietnamienne, de le considérer comme un national relevant de leur seule juridiction.

Cette réponse à l’ambassade belge constitue une première, car c’est la première fois que le Vietnam reconnaît officiellement la double nationalité d’un “citoyen" vietnamien : même lors du fameux procès du groupe “Tr?n Van Bá" en 1985, le pouvoir se contentait de rejeter la nationalité française d’un condamné mais se gardait de parler d’une double nationalité. Elle constitue aussi une preuve flagrante de la duplicité du régime puisque cette double nationalité, qu’il peut invoquer efficacement pour mater sans risque d’intervention étrangère les expatriés récalcitrants revenus sans méfiance au bercail, n’a aucune base juridique et contrevient la politique affichée.

Le fait est que la double nationalité est un concept étranger, peu acceptable au Vietnam. Pays forgé par des luttes séculaires contre l’étranger, le Vietnam a toujours rejeté ceux de ses ressortissants coupables de prendre le parti, et a fortiori de se soumettre aux lois de l’étranger considéré toujours peu ou prou comme un ennemi réel ou potentiel. Quel que soit le régime en place, monarchiste, républicain ou communiste, suspicion et mépris populaire se manifestent à l’égard des Vietnamiens, au demeurant plutôt rares avant 1975, qui prennent une nationalité étrangère. Automatiquement, le pouvoir ne les considère plus comme des citoyens vietnamiens, citoyenneté qu’ils ne peuvent reprendre qu’à condition de répudier leur nationalité étrangère.

Cette position consensuelle, consacrée par une convention bi-latérale franco-vietnamienne signée entre Saigon et Paris en 1956, n’a jamais été démentie jusqu’à ces jours par Hanoï malgré sa dénonciation de ladite convention. Pour se concilier l’influente diaspora vietnamienne grosse de deux millions d’anciens réfugiés anticommunistes, le pouvoir de Hanoï qui, durant la guerre, massacrait tous les Vietnamiens à nationalité étrangère, a multiplié les déclarations lénifiantes sur le respect de leurs droits s’ils acceptent de revenir investir ou rendre visite au pays. Bien entendu, ces droits sont compris comme ceux des citoyens étrangers interdits de possession immobilière et de toute participation à la vie civile locale mais protégés de l’arbitraire du régime par leur statut d’étrangers.

D’ailleurs, en apposant jusqu’ici les visas d’entrée sur les passeports étrangers des Vietnamiens à nationalité étrangère sans leur demander un passeport vietnamien, les autorités vietnamiennes ont de facto reconnu leur citoyenneté étrangère à l’exclusion d’une éventuelle nationalité vietnamienne. Depuis peu, pour étayer le nouveau discours et éviter cette reconnaissance tacite, elles ont essayé d’introduire dans les consulats le tortueux système d’apposition des visas sur un papier séparé genre laissez-passer et non directement sur le passeport étranger des ex-vietnamiens mais cette tentative a peu d’effet puisque ce laissez-passer ne peut juridiquement être assimilé à un passeport vietnamien. Quant à exiger ce dernier, elles savent parfaitement qu’une telle mesure aura pour effet de stopper toute envie de retour des “Viêt ki?u" (terme on ne peut plus ambigu) même parmi les affidés au régime.

Le paradoxe est que Hanoï veut à la fois profiter de l’argent et de l’appui politique des expatriés honnis tout en prétendant les maintenir sous sa coupe. En recourant au principe de la double nationalité comme d’une épée de Damoclès contre les fortes têtes tentées par le retour au pays, le pouvoir communiste réussit peut-être à priver ceux qui lui déplaisent de la protection d’un pays étranger, mais son action risque de se retourner contre le régime : avec l’application effective de ce principe, non seulement la manne des touristes et investisseurs “Viêt ki?u" s’épuisera, mais étant donné que tout “Viêt ki?u" redevient citoyen vietnamien en territoire vietnamien, Hanoï ne pourra plus refuser aux expatriés qui ont la témérité de rentrer au pays l’exercice plein et entier de leurs droits civiques.

Or, la donne déstabilisante que représente la participation à la vie civile d’un groupe de citoyens spéciaux, éduqués et aisés, majoritairement démocrates, Hanoï n’ a jamais voulu l’envisager. C’est pourtant ce que signifie l’application logique du principe de la double nationalité. Si le pouvoir communiste n’est pas prêt à en assumer toutes les implications, qu’il cesse de l’utiliser à mauvais escient. Ses mensonges et intrigues ne peuvent abuser personne. En tout état de cause, pour couper court aux manœuvres de Hanoï, le Département d’Etat américain a déclaré en juin dernier qu’il protégera tous les citoyens américains venus au Vietnam quelle que soit leur origine. Nous attendons que les autres gouvernements en fassent autant, en particulier que la Belgique s’active plus énergiquement à obtenir la libération de M. Dang-Vu Chinh, citoyen belge, retenu contre son gré au Vietnam depuis déjà 11 mois.

Paris, 27/9/1997

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