Des -ismes et des -istes

Combien étrange cette fascination ou répulsion fanatique (de la plupart)des hommes envers les divers -ismes qui ne sont pourtant que des constructions humaines ! Au nom des -ismes, on s'est congratulé ou invectivé, on a tué ou s'est fait tuer dans le plus grand enthousiasme et la meilleure conscience. Plus bizarre encore, leur incapacité de se remettre (et remettre leur foi ou haine au nom de l'-isme) en question, même lorsque, pour des raisons historiques ou sociales, et à leur corps défendant, ils se détachent de l'-isme auparavant vénéré ou abhorré pour adopter son contraire ou un autre éloigné. Si leur -isme a failli, s'en prennent-ils à eux-mêmes ou à la teneur de l'-isme concerné ? Bien rare une telle démarche. D'ordinaire on se dédouane sur l'air du temps et on invoque l'erreur d'interprétation pour décharger son -isme, comme si l'-isme et soi-même ne sont pas partie prenante des résultats de l'erreur.

A la suite de quoi, de foi l'on passe facilement à la mauvaise foi qui continue d'empêcher tout point de vue honnête et objectif sur les questions relatives aux -ismes. Sans salutaires critique et auto-critique, ex- et apostats ne font que rejoindre le camp des fidèles d'autres idoles. La même tournure d'esprit qui sous-tendait l'ancien aveuglement se perpétue sans état d'âme dans l'adoption de nouvelles (ou anciennes reformulées) convictions défendues de façon toujours aussi péremptoires. Sus aux contradicteurs ! Voués aux gémonies, ils peuvent être acculés à la ruine ou à la mort si le pouvoir se trouve du côté des détenteurs des nouvelles vérités.

La constatation susdite se vérifie pour tous les -ismes sans exception, l'exemple le plus flagrant se déroulant sous nos yeux à propos du communisme, du socialisme et de l'anti-libéralisme, avatars d'une même doctrine gauchiste dont les adeptes s'exonèrent de tout inventaire sérieux en s'attribuant le monopole du cœur. Etre de gauche c'est par définition se faire champion des pauvres et opprimés, pourquoi donc avoir honte des actions et complicités passées et présentes engagées pour la bonne cause, même si elles ont tourné à la catastrophe pour les intéressés ? En Occident, faute de pouvoir s'affirmer politiquement dans l'instauration d'un régime radicalement socialiste , tant le bilan du communisme constitue un repoussoir pour une telle tentative, les gauchistes se replient sur la subversion des mœurs et des idées par l' exploitation des mécontentements sociaux, préservant leur influence par l'imposition du politiquement correct.

Parce que les -istes ne se refont pas et brandissent les -ismes comme des armes, il est difficile de discuter sereinement de ces derniers sans se mettre à dos des groupes et des forces entiers. Et pourtant, en notre époque de confusion idéologique et de bouleversement social parallèles à des progrès scientifiques inouïs, le débat public sans excommunication et procès d'intention sur tous les sujets sans exception, du moment que n'existe aucun appel à la sédition et à la haine, devrait être plus que jamais à l'ordre du jour. Malheureusement, même dans un pays libre comme la France, exposer des idées à contre-courant, émettre des jugements sur l'évolution des mœurs, se référer à des valeurs différentes, contester les -ismes en vogue comme l'anti-racisme et l'anti-élitisme ou plaider pour des -ismes décriés comme le libéralisme et le nationalisme vous valent le lynchage médiatique avant le lynchage tout court.

Les -ismes désignant les diverses doctrines couvrent des définitions et des idées précises, mais les passions les parent de connotations qui leur sont souvent étrangères. S'accorder sur l'exacte signification des termes ouvrirait déjà la voie à une discussion constructive, faisant tomber de part et d'autre préjugés et œillères. Prendre les -ismes pour ce qu'ils sont, des explications et propositions plus ou moins justes ou légitimes en réponse à des problèmes donnés dans des conditions données, limiterait les prises de position catégoriques et les anathèmes agressifs. Limités ainsi dans leur compétence, les -ismes les plus holistes ne peuvent engendrer la dictature à moins que des -istes à l'esprit dominateur ne s'en servent comme talismans pour assouvir leur soif de puissance.

Paris, 5/7/2001

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