C'est pour le bien du Vietnam !

La visite en France de M. Võ Van Kiêt, Premier ministre de la République socialiste du Vietnam peu après le voyage au Vietnam du Président François Mitterrand renforce l'amertume de tous les démocrates vietnamiens de France et du Vietnam qui se rendent compte que la France, qu'elle soit socialiste ou libérale, raisonne à court terme, et préfère les sous sonnants ou trébuchants des dictateurs à l'amitié fructueuse des peuples enfin libres.. Nous avons déjà souligné l'inanité de la précipitation française et le mauvais calcul de l'Elysée et du quai d' Orsay trop dédaigneux de la mentalité vietnamienne ou trop confiants dans les analyses du lobby pro-Hanoï. Reste que le pari sur un changement spontané et progressif du régime continue d'être invoqué en faveur de toutes les compromissions avec les communistes vietnamiens.

Il est incontestable que l'ouverture à l'économie de marché a amené un changement notable dans la vie et les habitudes des Vietnamiens confrontés tout d'un coup à l'ère technologique et passés de la pénurie à l'abondance (relative), et que l'omniprésence policière a cédé le pas à l'effervescence des affaires, permettant aux citoyens une certaine liberté de parole et d'allées et venues. Mais l'otage qu'on sort du secret pour mettre dans une cellule plus agréable n'en reste pas moins prisonnier, et même si, atteint du fameux syndrôme de Stockholm, il se met à remercier son bourreau de ne pas l'avoir tué, ce dernier n'en demeure pas moins criminel.

Peut-on dire cependant que le régime qui a permis cette "libéralisation" au détriment de l'idéologie socialiste anti-capitaliste est sur la voie du changement démocratique ? Il y a eu changement certes, mais sûrement pas démocratique. Ce à quoi l'on assiste, c'est une mafiocratisation de tout l'appareil étatique, les nomenklaturistes d'hier appâtés par l'argent facile, nouveau sésame de la belle vie, se convertissant du jour au lendemain en gangsters patentés se livrant à tous les trafics possibles et imaginables, bien à l'abri derrière leurs privilèges grâce à l'organisation secrète du système communiste et à leur mainmise absolue sur les organes du pouvoir qui les met hors d'atteinte de la justice et de la presse.

La concussion et la contrebande au Vietnam ont pris une telle ampleur qu'elle menace de gangrener la société toute entière, à tel point qu'elles constituent le leitmotiv de toutes les doléances et finissent par alarmer le Parti anxieux pour sa propre survie. Mais comment les combattre quand les mafieux se recrutent en son propre sein ? N'est-il pas de notoriété publique qu'un réseau de contrebande est dirigé par une fille de Võ Nguyên Giáp, le héros de Diên Biên Phu en personne (cf. Far Eastern Economic Review, 14/1/93) ? Le premier ministre Võ Van Kiêt ne participe-t-il pas au racket généralisé par sa femme interposée ? Les malversations de Madame Võ Van Kiêt ont même été assez flagrantes pour causer des hésitations à ses collègues lors de sa cooptation comme membre du triumvirat (cf. Far Eastern Economic Review, 26/11/92).

Que les gouvernements européens choisissent de collaborer avec les mafiocrates justement parce qu'ils ont et le pouvoir et l'argent, c'est leur droit, mais qu'ils ne nous laissent pas entendre que c'est pour le bien du Vietnam. Les démocrates vietnamiens savent qu'ils ne doivent compter que sur eux-mêmes pour redresser leur pays et la lutte actuelle qu'ils soutiennent au prix de leurs peines et de leur sang continuera jusqu'à la chute du régime.

7/1993

Retour à DPN