Võ Nguyên Giáp versus Lê Ðuc Anh : Guerre des clans et micmac au sommet de l'Etat vietnamien

Avec l'ouverture du pays et le développement des moyens de communication au Vietnam s'étalent au grand jour les rivalités et intrigues au sein du pouvoir, qui se manifestaient et se réglaient auparavant en secret et en petit comité. C'est ainsi que depuis deux ans, filtrent à l'extérieur des détails relatifs à une guerre de clans groupés autour du général et ex-président Lê Ðuc Anh et derrière ses adversaires dont fait partie le célèbre Võ Nguyên Giáp, vainqueur de Ðiên Biên Phu. Elle est devenue si intense que dernièrement, les antagonistes n'ont pas hésité à se salir publiquement par lettres de partisans interposées.

Par le biais de la lutte contre la corruption, les plus hauts personnages de l'Etat, appartenant aux divers clans, à commencer par l'actuel président Trân Ðuc Luong et le premier ministre Phan Van Khai, sont accusés de prévarication par des cadres apparemment bien renseignés, qui énumèrent les fabuleux biens immobiliers et autres des intéressés ou de leurs proches. Alors que le général Giáp, incriminé à travers sa fille, est en plus dénigré quant à son courage militaire et à ses talents de stratège considéré comme surfaits, circulent des pétitions réclamant la lumière sur le passé trouble de Lê Ðuc Anh, accusé d'avoir débuté comme contremaître et non coolie de plantation d'hévéas, en cheville même avec le 2è bureau colonial.

Lê Ðuc Anh avait bénéficié d'une ascension vertigineuse dans le Parti grâce à l'appui de Lê Ðuc Tho dont il couvrit les exactions au Cambodge envers de hauts dignitaires Khmers en les prenant sur lui. A la suite de l'effrayant tandem Lê Duân - Lê Ðuc Tho tombeur de Hô Chí minh, il formait avec les ex-secrétaire général et premier ministre Ðô Muoi et Võ Van Kiêt un trio surpuissant faisant la pluie et le beau temps au sein du pouvoir. Après les fonctions suprêmes, les trois se firent nommer exceptionnellement conseillers du Parti, position qui leur permit de continuer à exercer leur influence, grâce à laquelle ils obtinrent en 2000 le déboulonnement irrégulier avant la fin de son mandat de leur ex-protégé Lê Kha Phiêu devenu encombrant avec son mouvement anti-corruption, en faveur de l'actuel secrétaire-général Nông Ðuc Manh. Mal leur a pris, car les transactions entre clans aboutirent à l'abolition du titre de conseiller, et donc à leur perte de poids.

Dès lors, les ennemis de Lê Ðuc Anh s'enhardirent à l'attaquer, en particulier en s'en prenant au redoutable Département 2 du Ministère de la Défense, sorte de super KGB, dont les patrons successifs sont ses hommes-liges, les généraux Vu Chính et Nguyên Chí Vinh (gendre du premier, fils d'un ponte du Parti, le général Nguyên Chí Thanh). Ces deux derniers sont maintes fois dénoncés comme des roitelets dans leur fief du Département 2, qui se servent des moyens ultra-modernes de leurs services pour monter des faux procès (dont l'affaire Sáu Su après le 6è congrès du Parti lequel entraîna l'éviction de Võ Nguyên Giáp du Bureau politique et son rabaissement à la Direction du planning familial) et fabriquer des preuves de traîtrise contre les ennemis de leur éminence grise Lê Ðuc Anh. A en croire leurs détracteurs qui citent une lettre indignée signée de plusieurs généraux sous la houlette du général Nguyên Nam Khánh datée du 17/6/2004, ils ont récemment essayé d'inculper de crime de connivence avec la CIA une flopée de personnalités du régime, dans le nombre desquels on retrouve le général Giáp. Sous le prétexte de consolidation du Parti, Giáp lui-même s'est fendu de deux lettres, l'une au 9ème congrès et l'autre au 10ème congrès pour se défendre et réclamer le châtiment des chefs du Département 2.

Encore à son apogée en 1992, Lê Ðuc Anh se vantait d'être intouchable, s'étant assuré de la mainmise de ses fidèles sur les "quatre piliers" du régime, à savoir le ministère de la Défense, le ministère de la Police, le Bureau politique et le bureau d'organisation du Comité central. Ces derniers étant de nature conservateurs par souci de préserver le Parti, les opposants au clan Lê Ðuc Anh sont souvent assimilés à des réformistes. Mais il faut se méfier d'un tel raccourci. Avant d'être politiques, les querelles internes sont surtout des rivalités personnelles, et tous les nomenklaturistes concernés sont d'abord et essentiellement des communistes, attachés à la pérennité du Parti.

Jusqu'ici, le Bureau politique fait la sourde oreille devant les dénonciations qui lui parviennent de divers côtés. Pourtant court le bruit d'un encerclement du domicile de Lê Ð?c Anh et de la fuite de ses acolytes Vu Chính et Nguyên Chí Vinh. Intoxication ou victoire réelle du clan Võ Nguyên Giáp ? Par la grâce des fuites sur Internet, le feuilleton continue…

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