OTAN et TPI

L’inculpation de M. Milosevic par le Tribunal international de La Haye en pleine guerre du Kosovo apporte autant de déception qu’elle soulève d’espoir chez ceux qui veulent lui voir jouer un rôle de premier plan dans la lutte contre les dictatures. Comment en effet ne pas se réjouir quand enfin, pour la première fois officiellement au nom de la communauté internationale, est mis en accusation pour crimes graves contre son peuple un dirigeant en exercice et non déjà en retraite comme Pinochet ? Mais aussi comment ne pas s’interroger sur l’indépendance et le poids du TPI quand on voit la cible et le moment pris pour une première à si grande portée symbolique ?

Mme Louise Arbour, le procureur général du TPI, a beau protester de sa totale liberté de manœuvre, le fait que, de tous les potentats criminels (certains, tel Fidel Castro, à l’œuvre depuis bien plus longtemps que M. Milosevic), elle ait désigné à l’opprobre international un dictateur soumis à une « opération punitive »en cours, au moment où l’opinion publique commence à douter du caractère « humanitaire » de l’intervention de l’OTAN, jette un sérieux discrédit sur l’objectivité des membres du tribunal et sur leur imperméabilité aux pressions extérieures.

D’après Mme Arbour, le tribunal procédait depuis longtemps à l’enquête sur les exactions ordonnées par M. Milosevic. Pourquoi les chefs d’état occidentaux, qui ne peuvent en ignorer au moins l’existence et l’état avancé, n’ont-ils pas alors attendu la conclusion pourtant imminente de l’instruction pour donner à leurs frappes unilatérales la légitimité requise ? Pour éviter le recours à l’ONU où des pays extra-européens (hors USA) ont droit à la parole et donc droit de décision sur un pays européen ? Quelles que soient leurs motivations supposées (soucis humanitaires) ou réelles (pression médiatique mais manque de moyens, test du parapluie USA, pour les Européens ; diversion aux problèmes de politique intérieure, calculs d’influence en Europe et à ses frontières, pour les Américains), dans leur précipitation, ils s’éloignent encore plus de la légitimité en s’appuyant, non pas sur des forces onusiennes, mais sur la puissance de l’OTAN, un organisme anachronique dont la raison d’être a disparu avec la chute de l’URSS.

La Yougoslavie étant devenu l’objet de bombardements intensifs, inculper a posteriori son dirigeant revient pour le TPI à jouer, au mieux le rôle de la mouche du coche qui vient gêner les négociations entamées (comment négocier avec un criminel patenté ?), au pire à servir d’instrument légaliste brandi à la rescousse d’un OTAN en perte de bonne conscience. La sagesse voudrait qu’à défaut d’acte d’accusation publié avant les démonstrations de force occidentales, Mme Arbour attende la fin des hostilités pour le rendre officiel et réclamer dé poursuites contre M. Milosevic. L’effet d’annonce aurait été moins fort (l’inculpation serait faite contre un dictateur déchu) mais la confiance en l’intégrité du TPI et en son futur rayonnement resterait intacte.

La lutte contre les autocrates plus ou moins sanguinaires exige de ceux qui s’en font les champions autant de courage que de discernement. De la part d’une instance suprême destinée à mener cette lutte, elle réclame une probité et une impartialité sans faille. S’ils ne se résignent pas à ce que leur institution se vide d’autorité et de sens, les membres du Tribunal pénal international ont intérêt à faire preuve de plus de perspicacité et d’autonomie dans leurs actes pour ne pas donner raison aux sceptiques et désespérer les milliards d’opprimés assoiffés de justice.

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