2000 blues

Fin de siècle ou fin de millénaire, l'année 2000 ne s'annonce guère réjouissante. A la place du bogue super-médiatisé avaleur de milliards, nous avons eu tempête et marée noire en France, inondation au Vénézuéla, guerre incessante dans l'ex-Urss et en de nombreux pays d'Afrique, sans compter une litanie de catastrophes d'envergure plus ou moins grande en divers pays du globe. Ces maux, somme toute routiniers à l'échelle de l'histoire et de la planète, frapperaient moins l'esprit si le chiffre rond 2000 n'excitait pas l'imagination populaire (au point que même des pays sans tradition du comput chrétien comme la Chine et même l'Egypte ont voulu fêter de façon grandiose le passage au nouvel an), qui oscille entre appréhensions apocalyptiques et espoir d'un renouveau radical en vue du mieux-être.

De telles peurs et espérances relèvent d'une pensée magique latente en chacun de nous, se nourrissant de nos désarroi et faiblesse devant les difficultés et l'inconnu. Quoi de plus apaisant ou de moins torturant que de s'abandonner ou se soumettre à la Providence, d'imputer ce qui nous arrive à des forces qui nous dépassent et sur lesquelles nous n'avons aucune prise (autre que charlatanesque) ? Quoi aussi de plus confortable pour l'amour-propre puisque, si l'égoïsme demande à une Fortune aveugle de favoriser des sorts particuliers, la jalousie se régale d'envisager un nivellement avec les nantis sous les coups d'un cataclysme universel ?

Pourtant, crainte et confiante attente sont nécessaires à notre survie. Agissant comme un instinct de conservation, elles nous empêchent de céder à une funeste imprudence ou à un morbide abattement. Quand elles ne paralysent pas par excès la volonté, elles motivent et stimulent l'action. Ainsi, n'eût été un tapage outrancier et des dépenses faramineuses, le spectre du bogue de l'an 2000, réel ou gonflé, a eu le mérite d'inciter les décideurs à investir plus dans la sécurité des systèmes informatiques. Les fléaux naturels échappent encore à nos connaissances, nous ne pouvons les éviter mais il nous appartient d'en limiter les dégâts en amont et en aval. L'hydre de l'iniquité triomphe sur maintes parties du globe mais le courage et la ténacité arrivent toujours à la vaincre, ne fût-ce que temporairement.

Cet émoi ambivalent qui nous étreint malgré nous au seuil d'un nouveau millénaire, au lieu de le déposer à l'autel des superstitions ou du fatalisme, mettons-le au service de la raison. Plus nous sommes nombreux à influer sur les causes des maux, plus nous parvenons à les esquiver ou à les alléger; moins nous laissons à d'autres le soin d'améliorer notre vie, moins notre avenir dépendra du hasard. Du blues de l'an 2000 naîtra peut-être l'alléluia du 21è siècle.

Paris, 3/1/2000

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